De la souffrance. (texte long mais si vrai!)
Nous avons entendu de belles choses sur la souffrance, jusqu’au jour où je l’ai vécu dans ma chair et qu’en moi ce sentiment de révolte est venu frapper mon âme pour me dire « Vanité des vanités tout ce qui j’ai pu dire sur la souffrance n’est que vanité ».
Permettez-moi de partager le non-sens de la question du sens, dans un site sur la question du sens, lorsqu’il s’agit de donner sens à la souffrance dans l’ici et maintenant du vécu de la souffrance.
S’il vous plait prenez un temps d’arrêt pour ce partage. Ce texte n’est pas à lire en diagonale, vous y trouvez les essentiels du questionnement du sens, et des faux semblants de réponse sur la question de la souffrance. Loin de moi de faire l’apologie d’une hernie discale face aux souffrances qui durent et perdurent dans des cas bien plus dramatique. Ce petit mal n’est évidemment qu’un prétexte à la question.
Voici ce que j’avais écrit suite à une crise aiguë d’hernie discale.
C’est peut-être bientôt la fin… Je veux dire la fin de la souffrance puisque depuis 2 jours, après la marche à 4 pattes, je marche à trois pattes.
Aujourd’hui j’ai pu sortir avec ma famille et ce soir je peux écrire.
Le prix à payer pour comprendre la souffrance est très cher!
La mort n’est qu’un passage, j’ai compris.
L’épreuve, les échecs, des apprentissages, j’ai compris
La maladie, un remède,
La joie, un outil,
Le contentement, une richesse,
Le deuil, la séparation, l’exclusion, le chômage, la solitude, l’injustice, la méchanceté, … Tout cela je peux comprendre.
Mais la souffrance, dans l’instant de son vécu, je n’ai pas compris.
Et si Job avait raison?
Et si la souffrance c’est l’apprentissage du cri, du refus, de la révolte.
Oser dire non ! Oser dire Pourquoi ? Pour Quoi?
Lorsqu’on est en bonne santé mentale, pour étudier les secrets de la création à travers les 4 mondes et que le mal d’en bas n’est que bien du point de vue de l’en haut, on peut comprendre : AVEC SA TÊTE
Il est possible de comprendre, « ceci aussi est pour le bien », AVEC SA TÊTE.
j’ai compris du point de vue métaphysique, mais je n’ai pas compris au niveau du réel de l’instant de la souffrance. Alors, tant que je ne comprends pas le sens de la souffrance dans l’instant même de la souffrance, je n’ai pas vraiment compris. A moins que comprendre, c’est prendre avec, c’est le vivre au plus profond de son âme et non pas comprendre avec sa tête…
Oui, mais, jusqu’à quand ? Jusqu’où ?
Lorsque l’on n’a pas la santé mentale parce que prisonnier de la souffrance, que se passe-t-il pour le souffrant ?Lorsque Khalil Gibran dit dans Le prophète ; « Votre douleur est cette fissure de la coquille… /… La douleur n’est-elle pas cette potion amère que prescrit le médecin, … Bien que sa main soit forte et pesante, elle est guidée par la main tendre de l’Invisible« . Je comprends.
Elle peut, bien sûr nous apprendre l’humilité. Je le sais par expérience.
Il peut y avoir un Tikoun, (Réparation, karma). Je le sais pas connaissance.
Mais, l’apprentissage ne se fait qu’après être sorti du vécu de la souffrance.
Et qu’en est-il, alors, pour ceux qui y laissent leur dernier souffle durant la souffrance sans avoir eu le répit d’en tirer un enseignement? A moins que!
Quand Victor Frankl dit que « la dimension spirituelle du sujet est indépendante de la maladie« , je comprend, mais qu’en est-il face à la souffrance de l’incommensurable ?
Aucun sermon ne tient face à celui qui est dans la souffrance des limites…
Aucun sens ne tient face à la souffrance de l’obscur.
La quête ici n’est plus de donner sens en terme de signifiant « Pourquoi? » car il y a disproportion entre toute forme de cause que l’on pourrait théoriser face à l’infamie.
Et pourtant si sens il y a, il nous faut revoir autrement la question du « pourquoi » en terme de cause et peut être, alors, nous orienter vers le « Pour Quoi » en terme de direction.
La souffrance dans l’instant du vécu ; marcher à quatre pattes dans l’obligation de me déplacer, oui, La souffrance dans l’instant du vécu ; Oui, J’ai accepté ce temps qui m’a été offert à vivre…
Ce ne pouvait être que Lui qui m’ait conduit à me mettre nu et à nu et me faire laver par mon jeune frère.
Oui, j’ai accepté mais avais-je le choix ?
Oui, j’ai accepté, mais dans mon fore intérieur il y avait plainte.
Ma protestation a été l’occasion d’une découverte et d’un réaménagement de mon être psychique, et intellectuel, sur la question de la souffrance.
En effet, j’ai dit de trop belles choses là-dessus, j’aurais dû me taire car l’essentiel est dans ce que nous ignorons de ce qu’est la souffrance et de son « pour quoi », c’est à dire de sa finalité.
D.ieu me préserve de comparer ma souffrance à celle de Job, ou à la douleur d’un cancer, plus encore de ce que nous connaissons du chaos de la Shoa!
Mais dans l’épreuve individuelle rien n’existe sinon le présent de sa propre souffrance.
Nous sommes réduits à l’état de Néant, la parole est silencieuse, et s’il y avait une place à la prière, elle ne serait que cri et gémissement, nous sommes confrontés à notre propre vulnérabilité…
Mon D.ieu pourquoi… ? Jusqu’à quand ? Toute forme de dignité s’écroule, toute forme de projet s’éteint, mis à part le désir de sortir de la douleur.
Combien d’êtres humains ont choisi l’arrêt de la souffrance par l’arrêt de la vie dans ce corps malade ou rongé par une souffrance de l’âme.
On nous propose bien de relativiser en prenant conscience qu’il y a pire ou qu’on peut s’en sortir. Mais quand on souffre, on n’est pas dans l’analyse du relatif de sa souffrance face au pire. On se retrouve seul, face à face elle telle qu’elle se présente.
Il nous reste la valeur d’attitude dans la réponse que nous donnons à l’épreuve, nous dit Viktor Frankl.
Si Victor Frankl nous apprend la valeur d’attitude dans l’acceptation, les prophètes nous apprennent à oser le refus.
« Mon âme est dégoûtée de la vie ! Je donnerai cours à ma plainte. Je dis à D.ieu : Fais-moi savoir. Pourquoi tu me prends à partie ! » (Job 10 : 1) Il n’y a pas blasphème au moment de l’absurde souffrance. D.ieu ne condamne pas lorsque mon être s’effondre. D.ieu n’a pas condamné Job. Mais il a condamné ses amis qui cherchaient à le consoler avec de belles bondieuseries « As-tu fait le bilan de ton comportement pour comprendre ta souffrance ? » ! Où pire encore « qu’elles sont belles tes souffrances car D.ieu ne châtie que ceux qu’Il aime ». Et D.ieu leur répond « Vous n’avez pas parlé de Moi avec droiture comme l’a fait mon serviteur Job ».
Je comprends pourquoi il nomme cette attitude : l’ultime valeur.
Quand il n’y a plus rien à faire, il nous reste encore la liberté de l’attitude !
Mais combien de Etty Hillesum peuvent louer D.ieu comme elle le fit dans son livre « une vie bouleversée » pour vivre cette épreuve ultime face à l’infâme?
Je sais que beaucoup d’hommes et de femmes ont pu le vivre, mais qu’en est-il pour les simples mortels que nous sommes ?
Hans Jonas a écrit un livre qui porte comme titre : « Le concept de D.ieu après Auschwitz« . Comme s’il y avait un concept de D.ieu avant la Shoa et qu’après la Shoa ce concept n’ait plus sens.
Et si le concept d’un D.ieu de bonté qui ne fait vivre que les douceurs de la vie était un non-sens de la véritable bonté?
Le bonheur est dans le pré, nous dit ce film à la noix de coco ! Certainement pour l’herbe qui y pousse et encore !
J’ai beaucoup appris là-dessus, et j’ai cru comprendre.
Dans les 4 nobles vérités du bouddhisme il est dit un peu la même chose que dans l’enseignement de la kabbale en ce qui concerne la réalité de la souffrance. Réalité de la souffrance, origine de la souffrance : l’ignorance.
Est-ce à dire que la connaissance nous sortirait ou nous permettrait d’en sortir ? A moins, peut-être, de lire connaissance, par naître-avec, connaissance- renaissance, il ne s’agit pas d’un savoir appris mais d’expérience vécue.
Nous savons que Rabbi Akiva a compris lorsqu’il était sous le feu de la souffrance, il récitait le Chéma Israël sous les flammes qui rongeaient son corps, et il fut pris par le baiser de D.ieu pour retrouver les siens. Mais ses élèves ne pouvaient pas comprendre, « Rabbi, Rabbi comment peux-tu louer la gloire du Nom au moment où devant nos yeux nous voyons la profanation du Nom« .
Viktor Frankl dit dans son livre, il y a des hommes qui sont capables de mettre d’autres hommes dans des chambres à gaz, mais il y aussi des hommes qui sont capables d’aller vers les chambres à gaz en psalmodiant la gloire de D.ieu par le chant du Chéma Israël. « Vous pouvez tout nous prendre, nos biens, nos familles, nos corps… Mais vous ne pouvez prendre nos âmes… ». Ont-ils répondu à l’infâme.
Nous savons que le Kadich, la prière des endeuillés, Itkadach véitkadach Chémé raba, n’est que louange à D.ieu, «Que grandisse et que soit sanctifié Son Nom! » On peut comprendre cela par la foi. Mais qu’en est-il pour les simples mortels au moment de la douleur d’avoir perdu un proche ?
L’endeuillé fait ses derniers devoirs pour le défunt, mais, sait-il que ce dernier devoir, la récitation du Kadich n’est que louange à D.ieu?
Que ton Nom soit sanctifié, car tu as repris celui ou celle qui fut pour moi le plus grand amour!
Que ton Nom soit grand Maître de justice, Tu donnes et Tu reprends !
Quelle foi ! Comment peut-on écrire de telle chose s’il n’y a pas derrière un véritable savoir d’expérience, que derrière le rideau du passage il y a la vraie vie.
Le texte est clair, à chaque malheur dans notre monde, louange pour l’éternel !
Qu’est-ce à dire sinon que le malheur n’est que vision courte du point de vue de notre monde, et que du point de vue du monde de vérité cela aussi est un bien.
Cela aussi nous pouvons comprendre, par l’intelligence du cœur. Mais reste la souffrance de l’endeuillé. Qui oserait lui dire qu’elle est belle ta souffrance comme l’ont fait les faux amis de Job.
Oui, Il faut un temps de répit pour relativiser sa propre souffrance, ou pour accepter qu’il y ait peut être une réparation spirituelle quelque part mais cela uniquement lorsque la souffrance s’estompe. Et dès la reprise de la souffrance, foutaise ! On est seul, on est prisonnier par la douleur, et on ne désire qu’une chose !
Que la douleur cesse ! « Qu’il plaise à D.ieu de m’écraser, qu’il étende sa main et qu’il m’achève ! », Job
Il y a évidemment bien d’autres souffrances ineffables qui nous mènent aux abîmes de l’angoisse.
Il y a basculement entre acceptation et révolte. Le prophète Jérémie se plaignait : « Pourquoi ma souffrance est-elle continuelle ? » Et c’est un prophète ! Alors que dire du simple mortel ? Moise lui-même ose questionner « pourquoi m’as-tu envoyé libérer ton peuple alors que tu ne fais que multiplier ses souffrances ! »
Et pourtant!
J’écrivais un jour : « En ce temps du souvenir de la souffrance du 11 septembre 2001, je peux encore partager les quelques mots entendus du profond de mon être avec l’humanité qui est en chacun de nous, avant que je n’oublie. C’est évidemment la pensée du simple fou que je suis qui s’exprime face à l’ampleur de la catastrophe et de sa signification auxquels seuls les fous mystiques ont accès…/…La vision est insupportable, des hommes savent que c’est leurs dernières minutes, et ils l’utilisent pour envoyer leur dernier message « … Je t’aime… » …/… »Et les survivants sous l’hécatombe s’embrassent… » Ce sera mon prochain texte sur cette question.
Aujourd’hui j’ai compris que nous sommes face à l’Un invisible.
Mais nous n’avons pas accès à l’Un car nous somme dans le 2 de la dualité du bien et du mal. De la joie et de la souffrance ! Nous n’avons pas accès à l’unité, c’est-à-dire au bien absolu, c’est-à-dire le sens de la souffrance.
Pour nous le mal n’est bien que lorsqu’il s’arrête.
J’ai eu mal, très mal, et cet horrible mal, m’a fait toucher mon propre néant.
Je n’ai pas su dans l’instant de la souffrance, mais j’ai vu dans l’après, l’importance de la qualité de l’attitude que j’ai pu avoir malgré tout. J’ai compris que le sens est dans l’après.
Si vous voulez être thérapeute, vous serez confrontés à la souffrance de vos patients.
Celle-ci peut être relativisée en mettant en face les drames et les horreurs du vécu de certains, mais attention du point de vu phénoménologique, c’est-à-dire de la carte et du ressenti du patient, sa souffrance est la souffrance qu’il vit ici et maintenant.
Alors comment aider, accompagner ceux qui vivent des souffrances de l’ordre de l’ineffable, autrement que de les aider à voir, que dans l’après, quelle qu’en soit l’issue, le sens leur sera offert ?
Au moment où nous perdons l’espérance du sens, quelque part nous perdons une grande partie de la vie. Viktor Frankl dit que dans les camps les gens mouraient plus de leur perte d’espérance que de faim ou de froid, et alors ils se jetaient sur les fils électriques pour en finir avec la souffrance.
Mais il y a aussi l’exemplarité de ceux qui ne lâchent pas prise de la présence dans la pire des souffrances.
C’est alors que j’ai compris que notre combat est d’intégrer du sens dans le fait de la souffrance.
Tu enfanteras dans la douleur, me ramène à mon expérience ou j’ai été mis à nu! Pour m’enfanter, moi-même. Je n’avais pas vu le changement, mais c’est vrai quelque chose avait été cassé, une coquille, une klippa, une écorce que sais-je, et je comprends maintenant pourquoi ce quelque chose que je ne sais dire a bougé en moi pour aller là où j’ai décidé d’aller aujourd’hui.
Et pour ceux qui oseront poursuivre la question, j’oserai aller au bout de ce que nous pouvons partager sur cette question grâce aux enseignements de la kabbale existentielle, revu par le vécu du cheminement de la vision de l’âme au-delà des illusions du raisonnement philosophique.
Et pour terminer: Manitou disait : devant la souffrance : tais-toi ».
J’ai trop parlé, je me tais.